Professeur.es juives et juifs du Canada contre l’adoption de la définition opérationnelle de l’IHRA de l’antisémitisme
Nous vous écrivons en tant que professeur.es juives/juifs d’universités et de collèges de partout au Canada pour vous faire part de notre profonde inquiétude quant à certaines interventions récentes sur nos campus concernant les relations israélo-palestiniennes. Nous croyons qu’il est impératif, à ce moment-ci de l’Histoire, de combattre toutes les formes de racisme et de discrimination, y compris bien sûr l’antisémitisme. L’histoire familiale de plusieurs signataires a d’ailleurs été profondément et intimement marquée par l’Holocauste. C’est donc sur la base d’un engagement ferme en faveur de la justice que nous écrivons ceci; un engagement qui, pour certain.es d’entre nous, doit être au cœur d’une vie juive menée éthiquement.
Nous nous joignons au mouvement international grandissant d’universitaires juives/juifs qui insistent pour que les politiques universitaires conçues pour combattre l’antisémitisme ne soient pas employées pour étouffer les critiques légitimes de l’État israélien ou réprimer le droit de se montrer solidaires du peuple palestinien. Nous considérons que le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) est une forme de protestation non violente légitime. Bien que nous n’approuvions pas unanimement le mouvement BDS, nous nous opposons à ce que celui-ci soit assimilé à une forme de soutien pour l’antisémitisme. Nous sommes par ailleurs profondément choqué.es par la recrudescence, au cours des dernières années, de gestes à caractère antisémite qui prennent des formes tristement familières.
Nous nous inquiétons particulièrement des récents efforts de lobbying menés sur nos campus pour faire adopter la définition de l’antisémitisme utilisée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). La manière vague dont l’IHRA redéfinit l’antisémitisme a certainement de quoi inquiéter : « une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard » et peut viser « des individus juifs ou non juifs et/ou leurs biens ». Mais le principal problème, à notre avis, est que la définition vient avec une série d’exemples dont plusieurs ne sont en fait que des critiques de l’État israélien. C’est pour cette raison précisément que la définition de l’IHRA est l’objet de vives critiques. En plus d’essentialiser l’identité, la culture et la théologie juives, elle assimile la judéité et le judaïsme à l’État d’Israël, effaçant ainsi un débat qui perdure depuis plusieurs générations au sein des communautés juives. La question est d’autant plus pressante que la définition de l’IHRA a d’ores et déjà été invoquée par des groupes et des individus qui désirent interférer avec la gouvernance collégiale et la vie étudiante dans les universités canadiennes. De plus, la définition de l’IHRA détourne l’attention des véritables incidents de racisme anti-juif et menace de réduire au silence toute critique légitime des graves violations du droit international commises par Israël, en particulier son déni des droits humains et politiques des Palestiniens.
Sur les campus où cette définition a été adoptée, elle a été employée pour intimider et réprimer les syndicats, les associations étudiantes, les départements et les associations facultaires qui sont résolument engagés en faveur de la liberté, de l’égalité et de la justice pour le peuple palestinien. Un grand nombre d’institutions juives internationales ont déjà reconnu ce problème. Par exemple, le New Israel Fund of Canada a récemment retiré son appui à la définition de l’IHRA. Le conseil académique de la University College de Londres (UCL) a recommandé que l’université cherche une autre définition de l’antisémitisme et infirme la décision d’adopter le modèle de l’IHRA. Le conseil académique de l’UCL se joint ainsi à un mouvement croissant, qui compte plus de 500 universitaires canadiens, des universitaires juifs et israéliens, des universitaires britanniques de citoyenneté israélienne et des spécialistes de l’histoire du peuple juif et de l’Holocauste, pour s’opposer à l’adoption de la définition de l’antisémitisme mise de l’avant par l’IHRA.
Nous sommes bien conscient.es que les désaccords qui existent sur nos campus au sujet de l’antisémitisme et des critiques de l’État d’Israël sont importants et parfois acrimonieux. Ces disputes, toutefois, ne seront pas résolues par décret. Si le but de l’adoption de la définition de l’IHRA est d’apaiser les conflits entourant la portée des critiques à l’endroit d’Israël, elle est assurément vouée à l’échec. Cela s’est d’ailleurs déjà avéré dans de nombreuses institutions.
Le recours à un cadre conceptuel défectueux pour combattre l’antisémitisme est contraire à la recherche plus large de justice et de tolérance qui se trouve au cœur de l’énoncé de mission de nombreuses universités. La liberté de critiquer les politiques et les pratiques de n’importe quel État, sans exception, y compris l’État d’Israël, doit rester un élément central de la recherche, de l’apprentissage et de l’éducation responsables. Nous croyons en outre qu’elle est essentielle à la construction d’une université plus juste.
